Les impacts de la crise covid sont de nature à renforcer l’importance donnée à une analyse de la dépense hospitalière et de la stratégie d’emploi des ressources. La gestion active et innovante des recettes dans les établissements demeure néanmoins indispensable et doit être encouragée, notamment pour que les hôpitaux conservent leur autonomie financière.

La critique des fameux « tableaux Excel » et de ceux qui les font vivre à l’hôpital, parfois en résumant avec une subtilité très relative l’un à l’autre, méconnaît les nouveaux chemins que bon nombre d’administrations recherchent localement.

Si l’objectif de dégager des moyens supplémentaires pour (re)donner des marges aux équipes, sans contraction des projets ou des ressources existantes, n’est pas vraiment nouveau (achats, gestion active de la dette, du domaine, produits annexes…), des évolutions récentes se dessinent dans les modalités envisagées pour trouver des recettes complémentaires au financement à l’activité.

Le développement d’emprunts bancaires dont les taux sont bonifiés en fonction de la dimension écoresponsable du projet, la vente d’expertise en santé à l’international, mais aussi la modélisation du rendement des données de santé constituent quelques-uns de ces vecteurs financiers innovants en cours de construction. Ces évolutions portées par des initiatives locales précèdent dans certaines situations l’élaboration des normes à même de régir le développement de l’activité, à charge pour les acteurs engagés dans ces nouveaux processus de construire des modèles éthiques socialement, sécurisants juridiquement et soutenables sur le plan économique.

Parallèlement, ces démarches innovantes mettent en lumière des inerties ou des vacances réglementaires d’ores et déjà identifiées dans notre système de santé.

En pratique la gestion financière responsable se heurte dans les établissements à plusieurs écueils :

  • un droit globalement protecteur des intérêts bilatéraux des différents acteurs (praticiens et industriels) qui, finalement, ne défend pas ou peu les intérêts des institutions qui servent de socle à l’exécution de la prestation ;
  • directement corrélée à ce constat, une faible incitation des tutelles à l’égard des opérateurs pour dégager des produits nouveaux.

Dans les pistes à creuser qui permettent aux établissements de densifier leurs recettes propres figurent notamment :

  • la mise à disposition de films de formation, tournés dans les murs de l’hôpital, pour lesquels les médecins ne sont pas nécessairement indemnisés et qui sont par la suite vendus à la médecine de ville. Ces capsules de bonnes pratiques ou témoignages sur tel ou tel acte médical servent légitimement la réputation du médecin qui y participe et donc celle de l’hôpital où il intervient. Il convient cependant de questionner cette plus-value uniquement « réputationnelle », alors que le prestataire ayant capté la vidéo la valorisera financièrement (médecins généralistes ou entreprises pharmaceutiques). La formation d’un médecin (quinze ans environ) n’est pas sans mobiliser les deniers publics qui permettent l’acquisition des connaissances ; une fois le médecin formé, son activité n’est possible que grâce à la mobilisation d’équipes dont le salaire provient également des contributions publiques, au même titre que les équipements et matériels mobilisés. Ce type de missions pourrait utilement intégrer dans son modèle économique une rétribution financière pour l’établissement de rattachement et, le cas échéant, en l’indexant sur le nombre de ventes de liens aux utilisateurs in fine des contenus ;
  • la pratique de la formation en site hospitalier à des techniques (proctoring) tend à se développer, poussée par l’assistance robotique croissante des actes chirurgicaux très sensible depuis une quinzaine d’années. Elle n’intègre pas, sauf conventions particulières, de rémunération spécifique pour les établissements, or le proctoring devient irréalisable si l’établissement ne met pas à disposition des moyens humains et techniques pour assurer la formation. La question du proctoring concerne plus nettement l’hospitalisation publique (et notamment les CHU) : sur une longue période, la progression de l’hospitalisation partielle concerne davantage les cliniques privées et les actes en question sont essentiellement des actes lourds. Les sollicitations des industriels et équipementiers pour ce type de formations in situ concernent prioritairement des PUPH ;
  • les données de santé (données profondes ou données élaborées) constituent une ressource potentielle dont la modélisation des clés de financement demeure en construction. Si la valorisation de l’exploitation de ces données, au profit direct des établissements ou indirectement par le biais d’un hub national ou interrégional se structure, elle doit intégrer les coûts particulièrement conséquents se rattachant à l’amorçage des projets (RH, matériels, sécurisation du stockage des données…) ;
  • l’engagement de professionnels hospitaliers sur le plan international passe essentiellement par le biais de l’aide au développement. Néanmoins, la loi de 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques a permis la création de filiales internationales publiques à même de vendre des prestations à l’international. Ce modèle de financement permet de rétribuer les établissements sous la forme de dividendes. L’évolution du cadre réglementaire pourrait utilement favoriser une meilleure valorisation des établissements d’origine des professionnels soignants engagés dans ces actions ;
  • au niveau territorial, l’arrimage des établissements parties à un GHT n’est pas sans conséquence sur bon nombre de processus qui permettent, soit des négociations groupées dans le cadre des achats, soit la sécurisation de procédures évitant des coûts induits. Les bilans critiques des GHT ne mentionnent malheureusement pas le rendement des achats hospitaliers, plus élevés d’ailleurs pour les établissements parties que pour l’établissement support. Les GHT ont largement concouru à la constitution d’une culture commune des achats, qui peut encore évoluer en faveur de l’innovation, mais qui tend à limiter l’isolement des plus petits établissements face à des partenaires commerciaux disposant d’une assise nationale ou internationale les plaçant en position dominante.

À la différence des autres fonctions publiques, la FPH est la seule tarifée à l’activité (entendue comme un suivi en cours d’exercice des recettes et des dépenses par les tutelles). Dans l’attente d’une réforme de ce mode de tarification, dont certains biais ont pu être documentés, l’action des hôpitaux pour ne pas se contenter d’attendre de l’État des sur-financements est incontournable. Les initiatives d’ores et déjà mises en œuvre en ce sens ne sont pas à méconnaître car elles permettent, mises bout à bout, de drainer des recettes complémentaires à la T2A qui viennent dès lors « amortir » les variations d’activités.

Alors que l’inflation sera probablement de 5,5 % en moyenne en 2022, ce qui entraîne des effets majeurs sur le niveau de dépenses des établissements, les recettes complémentaires qu’ils dégagent viennent en partie limiter le recours à la solidarité nationale (Ondam). S’il apparaît dans ce contexte urgent de modéliser des paramètres illustrant l’impact de cette inflation sur les dépenses hospitalières pour qu’ils soient intégrés au processus d’élaboration budgétaire de l’Ondam, il faut également travailler à la gestion active des recettes locales pour conserver des marges de manœuvre et donc d’autonomie. Enfin, la contrainte qui pèse actuellement sur les finances des établissements risque d’être sensiblement accrue en cas de non-compensation de la hausse du point d’indice prévue (3,5 % a priori dès le mois de juillet 2022).

Le sujet de gestion agile et stratège des recettes hospitalières impose de dégager des lignes d’équilibre pertinentes entre intérêt personnel et intérêts collectifs, développement économique de la société et sécurisation des finances publiques à l’hôpital, préservation de l’expertise soignante pour les patients et ouverture de cette expertise au plus grand nombre dans une approche de marge bénéficiaire assumée. Un engagement d’autant plus fort en ce sens doit protéger les soins et la qualité d’une approche surpondérant la notion d’efficience, mais aussi limiter le risque de transfert financier vers le reste à charge des patients. Si « le changement du monde n’est pas seulement création, progrès, il est d’abord et toujours décomposition, crise », les établissements doivent disposer de plus de marges pour majorer leurs recettes propres et manager leurs ressources dans l’incertitude. Leur autonomie financière est le corollaire de cette responsabilité.

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