FairEmbo : un procédé d’embolisation équitable

À travers le programme humanitaire FairEmbo conduit avec Aix-Marseille Université, le Pr Vincent Vidal, chef du service de radiologie interventionnelle de la Timone, a développé une technique très simple d’embolisation avec des morceaux de fils de suture.

Dans un hôpital de Dakar, au Sénégal, une jeune femme vient d’accoucher. Le nouveau-né se porte à merveille, c’est un petit garçon plein de vie qui réclame déjà sa maman à corps et à cris. Mais au bout de trente minutes environ, les médecins constatent chez cette dernière des pertes de sang trop abondantes. Il s’agit d’une hémorragie de la délivrance, dont les répercussions peuvent être extrêmement graves.

L’équipe est parfaitement consciente, après examen, qu’une embolisation artérielle serait sans nul doute la technique la plus efficace pour répondre à cette situation d’urgence. Les radiologues locaux maîtrisent cette intervention mini-invasive, ils ont été formés en radiologie interventionnelle et connaissent parfaitement les gestes à accomplir. En plus d’être rapide et efficace, la technique de l’embolisation a l’avantage de se pratiquer sous anesthésie locale. Le radiologue interventionnel introduit dans l’artère fémorale, sous contrôle de l’imagerie, un cathéter. Ce cathéter est amené au niveau du saignement, qui est stoppé par l’injection directe d’un produit occlusif. Seulement voilà : l’hôpital ne dispose pas de produit occlusif. Les agents emboliques permettant l’occlusion des vaisseaux sanguins sont des produits onéreux qui, dans bon nombre de pays émergents, ne sont souvent même pas distribués. Afin de sauver la patiente, l’équipe doit se résoudre à pratiquer une chirurgie conventionnelle : la ligature des artères utérines puis une hystérectomie.

De tels drames se déroulent quotidiennement de par le monde. Les hémorragies internes des accidentés de la route, faute de prise en charge adéquate, sont elles aussi une cause importante de mortalité et pourraient également être traitées par cette technique mini-invasive.

Pour lutter contre cette inégalité criante dans l’accès aux soins, le Pr Vincent Vidal, chef du service de radiologie interventionnelle à l’hôpital de la Timone et directeur du laboratoire d’imagerie interventionnelle expérimentale (LiiE-Cerimed) de la faculté de médecine, a imaginé le projet FairEmbo pour une embolisation « équitable » (fair) qui ne dépend pas de critères financiers : n’importe quel radiologue interventionnel doit en effet pouvoir la pratiquer, quel que soit le pays où il se trouve. Et tous les patients susceptibles d’être traités par ce procédé doivent pouvoir en bénéficier, quelles que soient les ressources dont ils disposent.

Le Pr Vidal a eu l’idée d’utiliser de simples fragments de fil de suture chirurgicale. L’utilisation de ces fils à l’intérieur du corps n’est pas une chose nouvelle. Il existe même des fils qui se résorbent d’eux-mêmes progressivement, au contact de l’organisme, afin d’éviter un nouveau passage au bloc pour le retrait des sutures. Le choix de fil chirurgical pour l’embolisation est donc d’autant plus pertinent qu’il ne pose pas de problématique éthique malgré son caractère résolument novateur.
L’équipe du Pr Vidal s’est donc attelée, au cours d’une phase préclinique, à tester et à démontrer l’efficacité de différents types de fils en fonction de la taille des fragments requis et de leurs propriétés. Il fallait également s’assurer de l’absence de risque de complication, ce qui est désormais attesté.

Ces recherches ont fait l’objet de quatre publications dans des revues internationales dont CardioVascular and Interventional Radiology. Aujourd’hui, FairEmbo fédère des compétences internationales (France, États-Unis, Canada, Sénégal et la sous-région d’Afrique de l’Ouest, Cameroun et la sous-région d’Afrique centrale, Algérie, Cambodge) avec une équipe pluridisciplinaire associant médecins radiologues, pharmaciens, ingénieurs et personnel paramédical. Des premiers patients ont été traités avec succès, notamment à Dakar, Yaoundé ou Alger.

Cette innovation constitue une véritable révolution dans les soins prodigués aux patients. L’embolisation équitable est en effet amenée à se développer partout où les agents emboliques ne sont pas distribués. Elle s’accompagne de missions de formation de radiologues interventionnels locaux et permettra ainsi de sauver un grand nombre de vies. Les implications sont d’autant plus grandes que le Pr Vidal et son équipe travaillent actuellement à l’élaboration de nouveaux dispositifs.

Notamment des « microparticules » de fils de suture qui pourraient permettre l’obturation des vaisseaux nourriciers de tumeurs bénignes comme les fibromes utérins, et même de tumeurs malignes comme le carcinome hépatocellulaire (cancer du foie).