Pourquoi le sujet de la délégation et de la simplification du quotidien pour les équipes dans les hôpitaux est-il d’actualité ?
La crise sanitaire puis la période électorale de 2022 ont vu beaucoup de contrevérités circuler sur l’organisation des hôpitaux. Dans la pratique, les CHU se sont mobilisés pour la mise en œuvre des mesures portées au premier semestre de l’année 2021 par le législateur, afin qu’elles trouvent toute leur application à chaque niveau au sein des établissements.
Disposer de marges de manœuvre au plus près du terrain dans une interaction interprofessionnelle agile, tel est bien le but que nous poursuivons tous. Cela repose sur une chaîne de responsables complémentaires. La délégation de gestion répond à cet enjeu.
Le CNR santé en cours représente l’occasion de valoriser toutes les bonnes pratiques en matière de délégation et de simplification de vie des hospitaliers. Faisons désormais confiance aux acteurs pour trouver les équilibres adaptés à chaque établissement, CHU par CHU.
Qu’ont déjà fait les CHU en la matière ?
Les CHU ont depuis longtemps engagé des démarches de délégation de gestion qui se matérialisent sous différentes formes : contrats de pôle, projets de pôle, délégation d’enveloppes, formation des gouvernances de pôle, etc. L’organisation polaire, un acquis important depuis 2005, permet un pilotage médical global et cohérent sur un ensemble de disciplines hospitalo-universitaires. L’inscription du niveau du service dans la loi en 2021 est une bonne chose et permet de préciser ce qui est attendu du service par rapport au pôle. Désormais, il faut aller plus loin dans les délégations et dans la simplification du quotidien des hospitaliers, en particulier des soignants.
Qu’entend-on par délégation de gestion ?
Il ne faut pas confondre délégation de gestion et délégation de décision. Sont considérées comme relevant de la délégation de gestion les compétences de gestion relevant d’une direction fonctionnelle, et qui donnent un levier managérial aux responsables médicaux et paramédicaux. Par ailleurs, l’hôpital restant un établissement public dirigé par un directeur, il doit pouvoir rendre des comptes devant les usagers et auprès de ses tutelles. L’engagement de la responsabilité et de la décision doit pouvoir être délégué à des directeurs adjoints pour le bon fonctionnement de l’établissement et éviter une excessive centralisation. Il pourrait également être délégué à des chefs de pôle (qui demeurent désignés par nomination et non par élection), transférant dès lors la responsabilité au signataire. Celle-ci s’accompagne d’obligations variées, notamment celle de l’application depuis le 1er janvier 2023 du nouveau régime de responsabilité des gestionnaires publics. La demande des équipes ne porte a priori pas sur cette délégation de signature mais bien sur la compréhension des modes de décision et la liberté de pouvoir agir sur des domaines qui concernent leur échelle, notamment celle du service. Sur ce point, les CHU ont montré qu’ils pouvaient être innovants. Il faut reconnaître également qu’ils partagent un point commun avec toutes les organisations de grande taille, publiques comme privées, c’est-à-dire un nombre important d’interfaces et une spécialisation des tâches plus marquées. En ce sens, les CHU rencontrent les mêmes problématiques internes que les grandes entreprises privées.
Les CHU français ont-ils une gouvernance et des modes de délégation si différents de leurs homologues étrangers ?
D’après une étude confiée par la Conférence des DG de CHU à Dialog-health, les professionnels des CHU français se posent les mêmes questions en matière de gouvernance que les autres établissements équivalents à l’international. L’OMS identifie quatre dimensions pour évaluer la qualité de la gouvernance hospitalière :
- dimension institutionnelle : quel est le champ de responsabilités et de compétences des leaders/managers ?
- dimension financière : les leaders/managers ont-ils la liberté de gérer les ressources de leurs établissements ? Les flux financiers sont-ils transparents ?
- dimension responsabilité : les processus décisionnels et de délégation sont-ils clairs ?
- correspondance responsabilité/prise de décision : les leaders/managers peuvent-ils tenir leurs promesses ?
Le débat délégation/centralisation dans les structures hospitalières n’est pas nouveau et dépend finalement des objectifs principaux recherchés.
La question de la place du corps médical dans la gouvernance hospitalière est aussi une question ancienne qui trouve les mêmes réflexions chez nos homologues étrangers.
La formation des responsables médicaux pour piloter des ensembles de taille importante (service, pôles…) est un élément essentiel.
L’intégration de médecins directeurs dans les équipes engage une formation, des obligations de mobilité pour éviter les très logiques conflits d’intérêts avec les communautés médicales de l’établissement, une clarification des responsabilités et des règles de nomination très claires. Cette fonction, tirant sa légitimité de la nomination et non de l’élection, doit pouvoir s’appuyer sur l’unité de la responsabilité générale du chef d’établissement.
Il y a beaucoup d’idées reçues sur l’organisation hospitalière et le mode de décision : nombre d’administratifs, excessive centralisation… Qu’en pensez-vous ?
Il faut tordre le cou aux idées reçues : il n’y a pas 30% d’administratifs dans les hôpitaux mais plutôt 12%, et 6% si l’on enlève les secrétaires médicales qui sont comptabilisées dans ce chiffre. Lorsque certains établissements mettent en avant leur délégation forte dans les pôles en indiquant qu’ils ont moins de personnel administratif que les autres, il faut comptabiliser les agents qui ont été transférés dans les pôles.
Les CHU, comme tous les hôpitaux, répondent à des règles nationales correspondant à une collectivité publique et doivent en rendre compte (marchés publics, séparation ordonnateur/comptable…), ce qui implique un minimum d’unité décisionnelle pour assurer que l’établissement prend des décisions conformes au droit en vigueur. Cette unicité de la décision permet sur le plan juridique d’engager la responsabilité du signataire dans le cadre contentieux et donc de garantir in fine les droits des requérants. Certaines décisions doivent rester centralisées au niveau du chef d’établissement pour des raisons d’équité et d’unité dans le management de l’établissement. Ce management s’incarne dans un trio exécutif constitué du PCME, du DG et du doyen dans les CHU.
Pour autant, au-delà du corpus réglementaire qui s’impose à nous, nous avons des marges de manœuvre pour aller encore plus loin sur la délégation et la simplification de la vie des équipes hospitalières. C’est tout l’objet du présent dossier qui vise à faire un état des lieux concret et partager au maximum toutes les bonnes idées visant à diffuser le plus loin possible cette culture du « service aux soignants » et donc aux patients. Il recense des outils pratiques, issus de l’expérience des CHU et qui pourraient avoir vocation à être diffusés et enseignés dès la formation à l’EHESP.
Marie-Noëlle Gérain-Breuzard
Présidente de la Conférence des DG de CHU