Contexte de l’ordonnance

L’ordonnance du 23 mars 2022 relative au régime de responsabilité financière des gestionnaires publics a refondu le régime juridique applicable et mis un terme au régime séparant comptables et ordonnateurs au profit d’un régime de droit commun de responsabilité unifié. La Cour des comptes est, depuis le 1er janvier 2023, le seul juge compétent pour connaître des actes de mauvaise gestion financière pour ces deux catégories d’agents. Prise sur le fondement de l’article 168 de la loi de finances pour 2022, l’entrée en vigueur a été fixée au 1er janvier 2023.

Outre les gestionnaires hospitaliers, sont concernés par ce texte l’ensemble des gestionnaires publics, y compris les membres de cabinet titulaires comme contractuels, ainsi que les gestionnaires d’organismes relevant du Code de la sécurité sociale et les élus locaux.

S’agissant spécifiquement des hypothèses qui s’appliqueront aux établissements de santé, l’ordonnance dresse d’une part un tableau de l’ensemble des manquements qui pourront être constatés et des sanctions applicables. D’autre part, elle procède à la refonte de la procédure contentieuse.

I- La création du « préjudice financier significatif »

L’ordonnance créé la notion de « préjudice financier significatif » qui devra être la conséquence des manquements constatés et reprochés à l’agent. Le texte indique que le gestionnaire public qui, par un manquement aux règles d’exécution des recettes et des dépenses qui s’imposent à lui ou par la mise en œuvre d’un acte « anormal de gestion » de son établissement, commet une faute grave causant un préjudice financier significatif, est susceptible de se voir infliger une amende (nouvel article L. 131-9 du Code des juridictions financières). La notion de « préjudice financier significatif » sera appréciée au regard du montant de celui-ci, rapporté au montant total du budget de l’établissement ou du service dont le gestionnaire est tenu responsable. L’ordonnance ne va pas plus loin et se cantonne à cette définition. Il reviendra à la Cour des comptes d’en préciser les contours, entraînant une insécurité juridique certaine dans les premiers temps d’application de la réforme.

À noter - L’ARS, dès lors qu’elle aura approuvé les faits constitutifs de l’infraction, sera soumise au même régime de sanction. Dès lors, elle pourra être réservée quant à la perspective de multiplier des lettres de couverture.

Pour comprendre ce qui sera entendu par « préjudice financier significatif », l’étude par analogie avec des notions déjà mises en œuvre pourra être pertinente :

  • a. Dans une entreprise privée, l’acte anormal de gestion est un acte contraire à l’intérêt de la société (mise d’une dépense ou d’une perte à la charge de l’entreprise, privation d’une recette) et qui ne se justifie pas par son exploitation. Dans ces hypothèses, l’administration fiscale examine les dépenses qui ne se rattachent pas à l’intérêt direct de l’entreprise mais aussi l’appréciation qui a été faite par le chef d’entreprise du risque inhérent à l’opération en cause. Dans le cas d’un établissement public de santé, il pourra être considéré que l’intérêt de l’établissement est central dans la qualification de l’acte anormal de gestion. L’intérêt du service public hospitalier pourra également constituer un élément d’appréciation des actes de gestion, notamment garantir sa continuité. À cette considération, il peut être envisagé que le juge tienne également compte de la connaissance par le gestionnaire du risque qu’il a pris. Ainsi, il sera important de tracer les motivations des décisions adoptées pour justifier tout éventuel risque pris, notamment financier.
  • b. Le régime actuellement applicable aux comptables publics est également pertinent pour comprendre ce que pourra être la mise en œuvre concrète du « préjudice financier significatif ». En effet, leur régime prévoit déjà la notion de préjudice financier causé à l’établissement en raison d’un manquement. La jurisprudence financière caractérise l’existence d’un préjudice pour l’organisme public en s’appuyant sur trois éléments (Cour des comptes, chambres réunies, 26 mai 2016, direction régionale des finances publiques de Rhône-Alpes, n° S-2016-1602) : réalité du service fait, caractère dû ou indu de la dépense au regard de la régularité comptable de l’opération et des principes d’ordre public financier (CE, Assemblée, 12 juillet 1907, ministre des Finances c/Nicolle), volonté de l’ordonnateur. Les comptables publics sont tenus au paiement du débet lorsque le manquement commis a causé un préjudice financier à l’organisme public (art. 90 de la loi du 28 décembre 2011 de finances rectificative pour 2011). Cette notion est ensuite appréciée par le juge au regard de l’existence réelle d’un manquement (inexactitude de la liquidation de la dépense, manquement à l’égard d’une obligation qui s’impose au comptable), du lien de causalité entre le manquement et le préjudice financier à la date du manquement, de la réalité du fondement juridique de la dépense.

L’ordonnance semble ouvrir un régime moins sévère que celui qui est applicable actuellement aux comptables publics. Afin de sécuriser les prises de décisions, il pourra être conseillé aux gestionnaires publics de se prémunir de toute mise en cause de leur responsabilité en associant à la décision plusieurs acteurs. Il s’agira ainsi de démontrer la connaissance et l’appréciation des risques pris par le gestionnaire, que ce dernier a mis en rapport avec la recherche de l’intérêt de l’établissement. Pourront à cet égard être recommandé de :

  • favoriser la collégialité des prises de décisions (recours au directoire et éventuellement au conseil de surveillance en fonction des compétences de chacune de ces instances) et en tracer les débats ainsi que les prises de décisions par la voie de comptes-rendus et de procès-verbaux. L’objectif étant de formaliser ce que le juge pourra considérer comme la « volonté de l’établissement » et rechercher l’adéquation entre celle-ci et la décision du gestionnaire ;
  • mettre en place des procédures internes d’alerte : à titre de comparaison, concernant les comptables publics, le juge financier a pu considérer dans certaines jurisprudences qu’il lui revenait d’alerter l’ordonnateur de dysfonctionnements pouvant causer un préjudice financier à l’établissement. Toutefois la consultation d’un conseil de surveillance ou d’un directoire ne l’implique dans la décision que si le sujet sur lequel il est consulté relève de l’une des compétences d’attribution (CRTC, Bourgogne Franche-Comté, 18 juill. 2017, établissement hospitalier public – Lormes, n° 2017-16). Le conseil de surveillance de l’établissement délibérant notamment sur « 3° Le compte financier et l’affectation des résultats ; »
    (art. L. 6143-1 du Code de la santé publique), sa consultation sera pertinente afin de lui soumettre les projets financiers à ce titre. Le directoire étant nécessairement consulté préalablement à la fixation de l’état de recettes et de dépenses par le directeur (art. L. 6143-7 du Code de la santé publique), une concertation sur les enjeux financiers des décisions envisagées pourra également contribuer à les sécuriser. De manière générale, il sera toujours recommandé de consulter les instances collégiales de l’établissement dès lors que la question soumise pourra entrer, même selon une lecture extensive, dans le périmètre de leurs compétences.

II. La mise en place d’un nouveau régime limitatif de sanctions

L’ordonnance prévoit un régime d’amendes graduelles selon l’importance de la faute, le contexte factuel, leur réitération et l’importance du préjudice financier. Leur montant maximal sera de six mois de rémunération annuelle de la personne visée (nouvel article L. 131-16 du Code des juridictions financières).

Une nouvelle grille de manquements sanctionnables. L’ordonnance procède à la définition des nouvelles infractions pouvant donner lieu à une sanction. Ces infractions sont limitativement énumérées, ce qui aura pour conséquence de contraindre l’appréciation du juge financier qui n’aura que peu de marge de manœuvre pour se positionner sur la faute du gestionnaire.

  • La faute de gestion des dirigeants (nouvel article L. 131-10 du Code des juridictions financières). La faute de gestion concerne les agents occupant un emploi de direction d’établissement. Elle vise les agissements considérés comme contraires aux intérêts de ce dernier et qui lui ont causé un « préjudice financier significatif ». L’ordonnance renvoie ainsi explicitement à la notion d’agissements réalisés en méconnaissance des intérêts de l’établissement : une carence grave dans les opérations de contrôle qui lui incombent ; des négligences ou omissions répétées dans le rôle de direction. Ici, l’analogie est donc naturellement faite avec la notion d’acte anormal de gestion détaillée supra. Il pourra être considéré que la recherche de l’intérêt de l’établissement et du service public sera centrale pour caractériser ou non l’existence d’une faute de gestion. Il pourra donc à nouveau être recommandé de tracer les justifications des choix opérés par les gestionnaires afin de les sécuriser.
  • L’octroi d’avantages injustifiés (nouvel article L. 131-12 du Code des juridictions financières). Sont visés par l’ordonnance les avantages injustifiés octroyés par un gestionnaire public par intérêt personnel (direct ou indirect). La qualité du destinataire est indifférente, de même que la nature de l’avantage, qui peut être pécuniaire ou non. De même, le champ de l’avantage injustifié est élargi par l’ordonnance aux avantages procurés à soi-même. La notion d’intérêt personnel sera centrale pour apprécier le caractère injustifié de l’avantage, à l’instar des actes de gestion ayant entraîné un préjudice financier significatif pour lesquels est recherché l’intérêt poursuivi par la décision du gestionnaire.
  • La gestion de fait (nouvel article L. 131-15 du Code des juridictions financières). La gestion de fait renvoie au maniement de fonds publics par une personne n’ayant par la qualité de comptable public. L’ordonnance maintient la définition qui prévalait avant son adoption et indique que sont qualifiées de comptables de fait les personnes qui :
    a) s’ingèrent dans le recouvrement de recettes affectées ou destinées à un organisme public doté d’un poste comptable ou dépendant d’un tel poste sans en avoir la qualité ou agissant en dehors de son contrôle ;
    b) détiennent ou manient irrégulièrement des fonds ou des valeurs ;
    c) reçoivent ou manient directement ou indirectement des fonds ou valeurs extraits irrégulièrement de la caisse d’un organisme public ;
    d) procèdent à des opérations portant sur des fonds ou valeurs n’appartenant pas aux organismes publics, mais que les comptables publics sont exclusivement chargés d’exécuter.
    Un régime d’amende spécifique à la gestion de fait existe. Le montant maximal des amendes fixées à six mois de rémunération annuelle s’applique également à la personne s’étant rendue coupable de gestion de fait. Il sera alors tenu compte de l’importance de l’infraction, de sa durée, de ses circonstances, ainsi que du comportement et de la situation matérielle du comptable de fait.
    L’amende pourra être cumulée avec une autre amende qui trouverait à s’appliquer.
  • Les agissements ayant eu pour conséquence de faire échec à une procédure de mandatement d’office (nouvel article L. 131-11 du Code des juridictions financières). Le mandatement d’office est un acte administratif qui donne au comptable l’ordre de payer la dette d’un établissement en cas de carence de l’ordonnateur qui ne l’aurait pas inscrite au budget. Le DG de l’ARS peut alors, après mise en demeure restée sans suite, procéder au mandatement d’office d’une dépense ou au recouvrement d’une recette qui devrait être régulièrement inscrite à l’état des prévisions de recettes et de dépenses initial (art. L. 6145-3 du Code de la santé publique). L’ordonnance sanctionnera désormais les agissements des gestionnaires qui chercheront à faire échec à ces procédures et donc au recouvrement par les créanciers des établissements de leurs créances.
  • L’inexécution des décisions de justice donnant lieu au prononcé d’une astreinte (nouvel article
    L. 131-14 du Code des juridictions financières). Le texte de l’ordonnance prévoit de sanctionner les cas de manquement à la mise en œuvre par les gestionnaires des décisions de justice prises à l’encontre des établissements et prévoyant le versement d’une astreinte en cas d’inexécution.
  • Les infractions dites « formelles » (nouvel article L. 131-13 du Code des juridictions financières). Il s’agit des fautes procédurales (ex : pour les comptables publics : exacte imputation budgétaire d’une dépense, existence du visa du contrôleur budgétaire lorsque celle-ci devait être contrôlée par le comptable). Ces manquements, considérés comme plus légers, ne sont pas regardés par le Conseil d’État comme ayant causé un préjudice financier à l’établissement (CE, sect. cont., 6 déc. 2019, n° 418741, Lebon). Dans ce cadre, l’ordonnance prévoit une amende d’un montant maximal d’un mois de rémunération annuelle infligée aux gestionnaires publics qui :
    a) ne produisent pas les comptes de l’établissement au directeur général de l’ARS ;
    b) engagent une dépense en méconnaissant les règles de contrôle budgétaire ;
    c) engagent une dépense sans en avoir le pouvoir ou sans délégation.

III. Refonte de la procédure contentieuse au profit de la Cour des comptes

L’ordonnance unifie le schéma contentieux au profit de la Cour des comptes et fait disparaître en conséquence la Cour de discipline budgétaire et financière (CDBF) ainsi que la compétence juridictionnelle des chambres régionales des comptes (CRC).

Première instance – La Cour des comptes (nouvel article L. 131-21 du Code des procédures financières). La chambre du contentieux de la Cour des comptes est compétente pour juger les gestionnaires publics pour les infractions aux règles d’exécution des recettes et des dépenses ou à la gestion des biens publics ayant causé un préjudice financier significatif (exclusion faite des fautes formelles ou procédurales). La formation de jugement sera constituée de magistrats de la Cour des comptes ainsi que des chambres régionales et territoriales des comptes.

Deuxième instance – La cour d’appel financière (nouveau livre iv du Code des procédures financières). Une nouvelle cour sera mise en place et présidée par le premier président de la Cour des comptes. Elle se composera de quatre conseillers d’État, de quatre conseillers maîtres à la Cour des comptes et de deux personnalités qualifiées.

Les recours en cassation seront déposés devant le Conseil d’État

Le pouvoir de signalement (nouvel article L. 142-1-1 du Code des procédures financières). En sus des autorités d’ores et déjà compétentes pour saisir la Cour de discipline budgétaire et financière, l’ordonnance prévoit que des signalements pourront également être effectués par :

  • les représentants de l’État dans le département ;
  • les directeurs des finances publiques en région ou en département, pour des faits ne relevant pas des services de l’État ;
  • les chefs de service des inspections générales de l’État ;
  • les commissaires aux comptes des organismes soumis au contrôle des juridictions financières