Que peut-on retenir de Santexpo, dans son premier format post-covid ?

Avant tout, il faut remercier les organisateurs du salon et ceux qui l’ont animé. Il constitue un temps finalement assez rare, voire unique, de questionner les positions et de rapprocher la parole des experts de celle des usagers.

Le discours du président de la FHF du 8 novembre cible un sujet de fond qui précédait la crise sanitaire et qui demeurera inchangée à l’issue de celle-ci : les dépenses de santé évoluent plus vite que la croissance (mesurée en points de PIB). Parmi les conséquences (multiples) de cette tendance de fond réside le fait que nos dépenses de santé ne sont pas soutenables à long terme. Dans cette dynamique (en grande partie structurelle du fait du vieillissement de la population) le Ségur constitue un effet d’escalier dans la trajectoire des dépenses de santé et pour certains alimente un risque d’inflation par les salaires (*). Parmi les enjeux pointés par le président de la FHF, figure l’engagement majeur du secteur public pour prendre en charge les patients covid (84% avec et sans passage en réanimation). La conséquence de cette prise en charge consiste en une désorganisation durable du secteur public (ouverture – fermeture de lits / drainage des ressources pour ré-ouvrir des lits dans un contexte d’absentéisme renforcé depuis l’été 2021). Les établissements publics sont par ailleurs beaucoup plus diversifiés dans leur offre de soins, comparativement au secteur privé, largement spécialisé, notamment en chirurgie. Cette diversification des prises en charge dans le secteur public tend à être plus sensiblement impactée par les effets de la crise covid et les modalités de reprise des spécialités a fortiori les plus lourdes (avec une fuite probable des activités opératoires fonctionnelles plus légères, vers le privé).   

Un autre élément qui favorise cette dynamique réside dans les effets d’une activité très dynamique au niveau des établissements privés. Activité qui peine à reprendre dans les CHU du fait notamment des nombreuses contingences de service public qui s’imposent aux établissements publics de santé (PDS) et d’un business modèle qui n’est que subsidiairement financé par la T2A contrairement à d’autres types d’établissements).

Dans son discours du 9 novembre, en écho à celui de F. Valletoux , le ministre de la Solidarité et de la Santé a très clairement orienté son propos en faveur de la continuité et de la permanence des soins. Après la refondation salariale permise par le Ségur, le ministère tend, logiquement, à mettre en avant l’égalité d’accès aux soins et (re)questionne la répartition et la mobilisation des ressources humaines dans les territoires. Or la permanence des soins est fortement consommatrice de ressources et risque, en l’absence de mesures de rationalisation de l’offre, de se poursuivre sur un rythme élevé de dépenses.

Le sujet comporte une forte dimension technique et financière mais aussi politique et sociale car il emporte l’acceptation sociale dans l’accès, ou l’absence d’accès, aux soins. Si le débat ne s’ouvre pas de manière citoyenne et documentée, il risque de ne pas s’ouvrir. Il convient ainsi de se questionner sur les problématiques liées au niveau de contribution sociale et d’imposition pour armer les établissements d’un nombre suffisant de praticiens. La hausse du nombre de passages aux urgences coïncide pleinement avec le recul du nombre de médecins généralistes. Cette corrélation reste cependant peu connue du grand public. Ces enjeux ont vocation à passer par une analyse et des propositions qui aillent au-delà des mesures qui n’ont pas empêché la désertification médicale.

Reporter les attentes des populations sur l’hôpital public, sans se donner l’occasion d’interroger la volonté sociale d’accès aux soins, les attentes de la population à l’égard du secteur privé, voire la nature des prestations reçues (prévention, médecine de recours ou de proximité) serait un raccourci qui ne ferait qu’entretenir le risque inflationniste. Le numérique, la téléconsultation, et probablement la liberté d’installation des médecins constituent des aspects majeurs dans cette discussion.

Les CHU se mobiliseront et aideront autant qu’ils le pourront, mais ils ne sauront régler la diversité des attentes des foyers de population, les impératifs de soutenabilité financière et les souhaits des professionnels sans réforme concomitante et notamment celle du financement de l’hospitalisation.   

Quatre CHU étaient présents cette année, dont celui de Montpellier © Adrien Morcuende / Réseau CHU

Les chantiers à ouvrir sont nombreux. Ils ne se limitent pas à la permanence des soins ou aux attentes qui pèsent respectivement sur les secteurs privé et public. La perspective de l’élection présidentielle s’y prête, notamment en confrontant l’analyse des soignants, des usagers, des directeurs (réformes des autorisations, valoriser la pertinence des soins, relancer la chirurgie ambulatoire qui ne retrouve pas son niveau d’avant crise, effets de l’hyperspécialisation chirurgicale…). La valeur se crée par la mise en commun des points de vue, dans le respect des fonctions de chacun. Le pilotage au quotidien d’une gouvernance redéfinie dans les textes ne doit pas perde de vue cette fonction utile et concrète autour de responsabilités partagées.

En complément des approches mises en avant par le ministère et la FHF, la conférence des DG défend au premier chef l’innovation hospitalière. Cette capacité, largement mise en avant par la crise, doit de manière principielle permettre aux établissements de s’emparer les défis qui les attendent. L’innovation organisationnelle et managériale doit au même titre que l’innovation technologique et industrielle entrer de manière durable dans la dynamique des établissements. Les CHU sont largement impliqués dans ces enjeux, avec une responsabilité qui doit s’apprécier sur un temps long.

C’est bien cette échelle de temps qui doit être prise en compte pour, d’une part faire évoluer les cultures des patients et des professionnels et arriver à des engagements citoyens à l’égard d’institutions fondées par les ordonnances Debré de 1958, et d’autre part permettre aux écosystèmes de s’adapter au poids sanitaire, économique, universitaire acquis par les CHU afin de pouvoir bénéficier collectivement d’un rayonnement territorial cohérent, décloisonné et adossé aux besoins des populations.

Merci à Santexpo, l’agora qu’il constitue est précieuse pour toutes et tous.

* : (risque à nuancer et à distinguer des hausse de salaires dans d’autres pays de l’OCDE, dont les Etats Unis, Le Royaume-Uni et l’Allemagne qui connaissent des problématiques de recrutement que partiellement transposables à la France).