L’impact de la culture de l’établissement sur la diversité des modes de délégation de gestion
Le périmètre des pôles
Dans les CHU, les pôles sont des niveaux de pilotage désormais largement acquis, même si les périmètres sont très variables en fonction des établissements. Majoritairement constitué après concertation du directoire, le découpage polaire est souvent établi selon une organisation par filière de prise en charge/segment de la population (39%) ou par spécialité d’organe (34%).
Au global, 70% des directions de CHU se déclarent satisfaites de leur organisation polaire. Cette notion fait consensus dans les gouvernances des CHU, chaque CHU étant libre de ses propres organisations internes en pôles et en services.
L’enjeu consiste à travailler sur l’espace donné au service dans la suite des textes de 2021.
La pratique constituant à désigner les chefs de service par une signature conjointe PCME/DG/doyen est mise en œuvre dans la majorité des établissements.
La fonction contractualisation : un élément devenu essentiel dans le dialogue de gestion interne
La contractualisation interne est identifiée dans 75% des CHU. Elle est le plus souvent portée par un directeur adjoint dédié : direction de la stratégie/des projets/de la performance, direction du contrôle de gestion, direction des affaires financières…
Le contrat de pôle matérialise les objectifs donnés au pôle. Souvent établi pour une durée de quatre ans, le type des indicateurs qui en évaluent la réalisation peut être très varié : managérial, d’activité, de qualité des soins, de mise en place de projets, de recettes/dépenses, de coordination territoriale… Dans quelques CHU, un budget est dédié au pôle avec des enveloppes dédiées pour la réalisation des objectifs. Le suivi de ces objectifs est annuel ou infra-annuel.
Dans la grande majorité des CHU, le contrat de pôle est signé entre le directeur général, le président de la CME, le doyen et le chef de pôle.
La matérialisation de la délégation : à qui déléguer ?
En fonction de la culture de chaque établissement, plusieurs pratiques de délégation coexistent au sein des CHU, avec une pluralité d’acteurs : chef de pôle, cadre supérieur de santé, cadre administratif du pôle, directeur référent de pôle…
Dans la quasi-totalité des CHU, les directeurs référents de pôle assurent, à temps plein ou partiel, une mission d’appui auprès du médecin coordonnateur du pôle en matière de stratégie et gestion de projet ainsi que d’accompagnement et d’expertise. Cette fonction est désormais reconnue et professionnalisée dans les CHU.
Cependant, cela correspond davantage à une pratique de déconcentration et d’organisation de l’équipe de direction au plus proche des pôles et des services mais ne constitue pas une délégation de gestion à ce directeur.
Les CHU se positionnent largement en faveur d’une délégation de gestion aux pôles et aux services, matérialisée par les contrats de pôle, prioritairement à destination du corps médical, principalement les chefs de pôle.
Dans la plupart des établissements, une instance est dédiée aux chefs de pôle, parfois sous l’égide du président de la CME et/ou du DG via le directoire.
Il est parfois nécessaire de concilier des positions divergentes s’agissant de la délégation de gestion.
En effet, une enquête de la Conférence des DG de CHU menée en juin 2022 relève que certains chefs de pôle ne souhaitaient pas jusqu’alors un niveau fort de délégation. La délégation de signature du directeur général aux chefs de pôle n’est pas une demande qui ressort comme un point d’attente.
Au CHU de Poitiers, sont déléguées aux chefs de pôle et cadres supérieurs de pôle la gestion de l’enveloppe annuelle des crédits de formation continue et la gestion des mensualités de remplacement du personnel non médical. Cependant, les attentes exprimées en directoire et collégiale de chefs de pôle ne portent pas spécifiquement sur davantage de délégation de gestion. Notamment, la délégation de signature aux chefs de pôle n’apparaît pas forcément comme une demande.
Au CHU de Rennes, le choix a été fait de permettre des arbitrages à l’échelle du pôle. Il existe ainsi une forte implication des cadres supérieurs de pôle, qui ont délégation pour :
- l’utilisation de leurs équipes de suppléance ;
- l’utilisation des mensualités au titre des congés annuels ;
- le déclenchement d’heures supplémentaires (dans un cadre institutionnel) ;
- le recrutement de contractuels (dans une enveloppe fixée) sur des arrêts ;
- le plan de formation (en partie) ;
- le choix de leurs collaborateurs.
En plus de la gestion des RH, ils disposent d’une délégation de gestion d’une enveloppe qui leur est attribuée pour la réalisation de travaux, l’acquisition de petits dispositifs médicaux et celle d’équipements concourant à la qualité de vie au travail (QVT).
Ces exemples que l’on pourrait multiplier démontrent qu’il n’y a pas de réponse unique au sujet de la délégation de gestion dans les CHU : chaque CHU a développé le niveau de subsidiarité correspondant à son historique et à sa culture. Dans la mesure où il s’agit d’un sujet interne, la liberté doit être laissée à chaque établissement de travailler sur le niveau de subsidiarité adéquat en fonction des équilibres internes.
Au CHU de Tours, il est apparu nécessaire de définir préalablement et de manière détaillée le champ des responsabilités. À qui s’adresser pour trouver une réponse à un besoin identifié ? Telle est notamment la question auquelle répond le Guide de gouvernance et de gestion conçu par l’établissement.
Pour mettre en œuvre la délégation de gestion, le CHU de Tours a procédé à un travail de recensement et de documentation des fonctions à responsabilité managériale. Des conférences (internes et stratégiques) émaillent le cycle de gestion. Des fiches de mission des chefs de pôle et de l’encadrement polaire du chef de service, du cadre de proximité et du responsable d’UF ont été définies et sont bien connues de l’ensemble des communautés et librement accessibles sur l’intranet.
Réfléchi en 2015 dans le contexte d’organisation des pôles, puis révisé en 2020-2021, ce guide a été validé par un groupe de travail Gouvernance comprenant des responsables médicaux, soignants, médico-techniques, logistiques, techniques et administratifs.
Dans une première partie est présentée et détaillée l’organisation interne en pôles, services et unités fonctionnelles de l’établissement. Il reprend également le rôle, les missions, les responsabilités et les bonnes pratiques pour les différents acteurs référents qui les composent.
Sont ensuite exposés les différents process de l’établissement en matière :
- de gouvernance, de contractualisation et communication,
- de gestion des ressources humaines non médicales et médicales,
- d’organisation des soins et des parcours,
- d’autorisations/coopérations,
- de finances et contrôle de gestion,
- d’hôtellerie, logistique et salubrité,
- de qualité, patientèle et politiques sociales,
- de systèmes d’information,
- de services techniques et patrimoine.
Enfin, le guide présente et développe les principaux dispositifs de gestion des ressources humaines et des ressources matérielles au sein du pôle tels que l’organisation du travail, la continuité de service, les charges de l’établissement et l’investissement d’équipement.
Ce guide apparaît donc comme un outil concret au profit de la clarification du circuit de décision et de la valorisation du rôle de chacun dans la conduite de la stratégie commune d’établissement.
Des pratiques de délégation de gestion ancrées et efficientes
Si les pratiques en matière de délégation de gestion diffèrent inévitablement selon les établissements, un constat est uniforme : celui de l’ancrage des pratiques de délégation au sein des établissements. En effet, plus de 83% des CHU s’inscrivent dans cette démarche en juin 2022. Elle est considérée comme un véritable outil d’efficience, de mobilisation et de responsabilisation des acteurs autour d’objectifs partagés et lisibles.
Sont considérées comme relevant de la délégation de gestion les compétences de gestion relevant d’une direction fonctionnelle, et qui donnent un levier managérial aux responsables médicaux et paramédicaux. Pour la plupart des CHU, cette délégation de gestion concerne en priorité des objectifs d’activité et de qualité. Elle concerne également les achats, la gestion des ressources humaines et, dans une moindre mesure, des compétences relatives au recrutement médical ou à la recherche.
La délégation de gestion apparaît nécessaire aux CHU du fait de leur taille et de leur nombre de services. Elle est un outil, parmi d’autres, au service d’une démarche projet clairement contractualisée entre les pôles et la gouvernance, selon une approche horizontale, ne méconnaissant pas les solidarités et interactions fortes existantes entre les différents services et pôles de chaque CHU.
L’intéressement, une pratique en voie de généralisation qui fait ses preuves
Ce levier managérial favorise l’effort collectif des pôles pour atteindre des objectifs négociés dans le cadre des contrats internes de pôle. L’intéressement vise plus globalement à encourager l’amélioration de la performance des services grâce à un retour sur investissement aux équipes mobilisées avec l’objectif de stimuler la performance globale du CHU.
Recherche et amélioration de la qualité au CHU de Brest
Au CHU de Brest, les contrats de pôle prévoient, en complément d’enveloppes budgétaires déléguées (travaux d’embellissement, système d’information, formation personnel médical et non médical, équipements biomédicaux, achats…), une enveloppe d’intéressement pour les pôles qui s’engagent dans les activités de recherche et d’amélioration de la qualité. Le montant global, d’un million d’euros, est à répartir entre les 14 pôles, pour moitié portant sur la qualité, pour moitié sur la recherche ; il peut évoluer en fonction du résultat budgétaire de l’établissement ou de l’évolution des dotations Ifaq et Merri. L’utilisation de cette enveloppe, attribuée en fonction de l’atteinte d’objectifs fixés par l’institution lors de la conférence stratégique annuelle, est laissée à la libre appréciation des pôles tant qu’elle est en lien avec les champs concernés. Elle doit s’articuler avec la situation financière de l’établissement.
Des pôles décisionnaires au CHU de Nantes
À l’appui de la contractualisation interne, le CHU de Nantes consacre un montant d’environ 1 million d’euros par an, réparti sur ses 12 pôles cliniques et médico-techniques pour les intéresser sur leurs résultats. Ils bénéficient ainsi d’une enveloppe dont le montant est assis sur quelques indicateurs adaptés à chaque pôle et contractualisés chaque année.
Si cela devait permettre la mise en place rapide d’actions (acquisition de matériels, amélioration des conditions de travail…), il a été constaté, dans la pratique, qu’il était difficile pour les pôles d’utiliser ces crédits d’intéressement du fait de circuits complexes et de process inadaptés pour des achats « hors du commun », s’intégrant difficilement dans les procédures standard. Cette situation générait une légitime incompréhension de la part des pôles, voire de la frustration, alors même que l’intéressement a vocation à rapprocher la décision des unités et à donner de la latitude d’action au chef de pôle.
Les différentes étapes du circuit de gestion ont alors été passées en revue et modifiées pour permettre davantage de fluidité et de réactivité. Le nouveau dispositif réaffirme le principe selon lequel les pôles sont seuls décisionnaires de l’utilisation de ces crédits. Le circuit a été également simplifié dans la logique fast track :
- mise en place d’un outil de suivi partagé récapitulant les projets retenus et permettant qu’ils soient priorisés par les acheteurs dans leur traitement ;
- mise en place d’un guichet unique (pôle Achats), avec une personne référente chargée de suivre et de prioriser la mise en œuvre des actions d’intéressement dans le plan de charge.
Cette démarche s’est accompagnée d’une sensibilisation des cadres administratifs de pôle sur les procédures d’achat et de la formalisation d’un guide simplifié des achats d’intéressement.
Une enveloppe Mobilisation générale au CHU de Lille
Au CHU de Lille, les contrats internes dits de « nouvelle génération » ont été signés en 2019 et, par la même occasion, la politique d’intéressement a été révisée.
Deux indicateurs prioritaires communs aux pôles ont été fixés : la qualité de la lettre de sortie (sauf pôle dérogatoire bénéficiant d’un indicateur adapté) et la trajectoire médico-économique du pôle (cible EPRD).
Toutefois, la crise Covid a nécessité de réajuster la politique d’intéressement du CHU avec la mise en place d’une enveloppe Mobilisation générale attribuée par site.
Cette enveloppe a permis de valoriser l’implication de l’ensemble des personnels de tout métier, dont l’engagement et la solidarité ont permis au CHU de continuer d’assurer ses missions de soins, d’enseignement et de recherche tout en prenant en charge un afflux significatif de patients Covid.
Le fonctionnement du CHU de Lille en « cellules de site », dont la proximité avec le terrain, à l’échelle des sites, a été un facteur de réactivité et d’adaptation avec les enjeux des services.
Intéressement recherche au CHU d’Angers
La valorisation des activités de recherche est une question récurrente et ancienne dans la plupart des CHU. De nombreux investigateurs considèrent que leur contribution à l’enveloppe Merri, au travers des points Sigaps et Sigrec, n’est pas suffisamment reconnue par les établissements. Aussi, en 2021, le CHU d’Angers a décidé de mettre en place un intéressement portant sur les résultats de recherche, dans le cadre d’une contractualisation avec chaque service. Cet intéressement s’est ajouté aux soutiens apportés par l’établissement, sur fonds propres, aux activités recherche : appel d’offres interne, prise en charge des frais de publication ou de traduction, contrats d’interface…
L’hétérogénéité des services face à cette activité emblématique des CHU pose la question d’un intéressement juste et efficace, qui accompagne et encourage la dynamique recherche pour tous. Afin de s’inscrire dans une logique de valorisation des grandes équipes très dynamiques mais aussi d’aide aux services émergents, la DRCI du CHU d’Angers a établi une méthodologie innovante pour déterminer la part d’intéressement revenant à chaque service et ses modalités d’utilisation.
Cette règle de calcul prend en compte deux critères majeurs : la gestion budgétaire des activités de recherche d’un service ainsi que sa volumétrie des points Sigaps A/B et Sigrec. Le premier critère permet de tenir compte de l’effort des équipes qui présentent une forte dynamique de réponse aux appels à projets, de la bonne gestion des études en cours et d’une adéquation optimale du personnel TEC/ IRC au regard de leur activité. Le second critère met l’accent sur l’excellence scientifique des chercheurs, en ne tenant compte que des points générés par des publications dans des revues de rang A et B et en valorisant les points d’inclusion liés à la participation à des études académiques.
L’intéressement éligible est obtenu par une pondération plus forte accordée à l’activité de publication et d’inclusion (70%) qu’à la situation budgétaire recherche du service (30%). Afin de mieux accompagner les services dont l’activité est en cours de développement, l’intéressement respecte un barème progressif (2,4 ou 6%) de telle sorte que les plus petits sont proportionnellement plus aidés que les plus solides.
Cet exercice a permis d’instaurer un dialogue riche et constructif avec 45 services hospitalo-universitaires. Pour ces réunions de contractualisation, la DRCI a produit de nombreux indicateurs afin de donner une photographie de l’activité recherche à chaque chef de service. Les vitesses d’inclusion dans les protocoles, les taux de production de rapports finaux, l’évolution du score Sigaps sur 5 ans, le profil des études en cours sont autant d’éléments qui ont été analysés et ont nourri le débat au cours de chaque rencontre. En 2021, l’exercice a permis de redistribuer plus de 580 000 euros via des contrats de moyens ou de performances, s’échelonnant entre 1 000 et 30 000 euros. Le service optant pour le contrat de moyen a bénéficié d’une autorisation de dépenses immédiate, à hauteur de l’intéressement calculé, qui a pu être dépensé dans l’année selon ses souhaits.
Le service optant pour un contrat de performance a vu son intéressement abondé de 30%, en contrepartie du démarrage d’une RIPH 1 ou 2 qui ne bénéficiait pas de suffisamment de financements pour être promue. L’établissement a clairement fait le choix de booster le développement de l’activité recherche en majorant cet intéressement pour inciter les services à porter un projet, approuvé par le conseil scientifique de la DRCI. Dans les deux cas, les services se sont engagés, avec la signature d’un contrat, à améliorer certains indicateurs qualitatifs qui ont été présentés au cours de la contractualisation.
Après deux campagnes de contractualisation, le bilan est positif. En 2021, le dialogue instauré a favorisé la proposition de solutions pour une vingtaine de projets de promotion interne qui étaient en attente de solutions. Les fonds débloqués ont permis le recrutement dans les services de deux chefs de projets et quatre TEC. Enfin, ce sont neuf nouvelles RIPH 1 ou 2 qui ont pu démarrer sans besoin de financements extérieurs, grâce à l’intéressement distribué.